Les Cent Mille Martyrs de Tbilissi : mémoire, histoire et héritage spirituel
- SGN06

- 13 nov.
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mChaque année, le 13 novembre, la Géorgie rend hommage à l’un des épisodes les plus poignants de son histoire religieuse : la commémoration des Cent Mille Martyrs de Tbilissi (en géorgien : ასი ათიასი მოწამე).
Cette journée, célébrée par l’Église orthodoxe géorgienne, honore les chrétiens qui, selon la tradition, furent massacrés en 1226–1227 à la suite de la prise de Tbilissi par Jalāl ad-Dīn Mangburnī, le souverain khwârezmien, et ses troupes.
L’événement, à la fois historique et profondément symbolique, s’est inscrit dans la conscience nationale comme le témoignage ultime de la fidélité spirituelle du peuple géorgien.
Un contexte historique bouleversé
Au début du XIIIᵉ siècle, le Royaume de Géorgie, alors à l’apogée de sa puissance, se trouva confronté à une série d’invasions.
En 1225, Jalāl ad-Dīn, dernier souverain du Khwârezm, lança une vaste campagne militaire contre la Géorgie.
Après plusieurs affrontements, ses armées atteignirent Tbilissi et s’en emparèrent en 1226 (ou 1227 selon certaines sources).
Une chronique géorgienne anonyme, connue sous le nom de Chronique de cent ans, évoque l’ouverture des portes de la ville grâce à la trahison d’une partie de la population musulmane locale, facilitant ainsi l’entrée des envahisseurs.
La chute de la capitale plongea alors la cité dans l’une des tragédies les plus sombres de son histoire.
Le martyre : un récit de foi et de violence
Les récits hagiographiques et les chroniques médiévales décrivent avec force la brutalité qui s’abattit sur la population chrétienne :
Des familles entières furent massacrées, et les violences infligées dépassèrent tout entendement. Les chroniqueurs décrivent des scènes de barbarie extrême, témoignages de la fureur qui s’empara de la ville.
Le sultan fit démolir la coupole de la cathédrale Sioni, symbole majeur de la foi géorgienne, et y installa son trône en signe d’humiliation.
Les icônes du Christ et de la Vierge en furent retirées puis placées sur un pont traversant le fleuve Mtkvari (Koura). Les chrétiens furent contraints de les profaner en marchant dessus.
Ceux qui refusaient d’abjurer leur foi ou de commettre cet acte furent décapités sur place.
La tradition géorgienne rapporte que près de cent mille personnes auraient préféré la mort à l’abjuration de leur foi.
L’expression originale at’ni bevrni mots’ameni – « dix milliers nombreux martyrs » – suggère cependant une dimension symbolique, destinée à exprimer l’ampleur spirituelle de cette tragédie plus qu’à fournir un chiffre exact.
Signification liturgique et mémoire nationale
La commémoration du 13 novembre n’est pas un simple anniversaire historique :
Elle constitue un jour de méditation, de recueillement et de gratitude pour le courage spirituel des martyrs.
Des liturgies solennelles sont célébrées dans toutes les églises du pays, et des processions sont organisées, notamment sur le pont de Metekhi, où selon la tradition eurent lieu les exécutions.
Cet événement est perçu comme un rappel puissant du prix de la fidélité religieuse, de la liberté de conscience et de la résistance morale face à la violence et à la tyrannie.
Dans la conscience collective géorgienne, le martyre des Cent Mille occupe une place centrale : il illustre la douleur de l’invasion mais aussi la résilience spirituelle du peuple.
Une mémoire vivante
Plus de huit siècles après les événements, la commémoration demeure intensément présente dans la vie religieuse géorgienne.
Elle incarne le lien profond entre la foi orthodoxe et l’identité nationale, et continue d’inspirer une conscience historique tournée vers la dignité, la solidarité et la persévérance spirituelle.
En honorant les Cent Mille Martyrs de Tbilissi, la Géorgie n’évoque pas seulement un épisode tragique de son passé, mais célèbre également la force intemporelle de la foi et de l’humanité face à l’oppression.




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